mardi 27 avril 2010

Désir


Elle s’était soudain souvenue de ce livre dont un des personnages était un anglais rubicond dont la peau partait en lambeaux blancs et secs. Il tuait un homme. A un moment donné. Dans le livre. Ou essayait seulement. Elle se mit à la recherche du bouquin. Quelle étagère ? Quelle pile ? Quel auteur ?… Pynchon ! Thomas Pynchon ! V.

Toute sa matinée fut consacrée à la relecture d’une partie de l’ouvrage retrouvé finalement chez le libraire d’en bas.

Elle y cherchait une raison de s’y remettre. D’écrire encore. De nouvelles lignes. Un autre registre.

Elle trouva chez Pynchon un brouillage de pistes très plaisant et assez pointu. Enivrant. Rien à voir avec. Loin.

L’amour était plutôt son truc, à elle. Son puits. Son trou d’eau croupie qui bouge dans le seau que l’on remonte grâce à la corde. Seulement si l’on tire sur la corde. Et il faut de la force, pour le sortir de là, le seau. Dans l’idéal, mieux vaut être deux au moins. Elle se disait qu’un homme seul y parviendrait. Mais une femme seule… Toute menue… Elle se disait que l’expérience des années faisait parfois office de force physique, dans certains cas. Dans le sien, cela avait contribué à un quelque chose du genre. Comme une poulie que l’on aurait tarabiscotée de manière suffisamment sophistiquée pour que cela fonctionne correctement. Une jolie poulie faite de bois et de ferraille, tantôt huilée, tantôt rouillée, ce qui lui donnait le charme de ses objets manufacturés à la vas-y-que-je-te. Comme on peut. Avec ce que l’on peut, à portée de la main, quand besoin est. A la hâte. Du solide construit avec ses mains et de l’urgence.

Finalement, le désir avait dû faire le boulot. C’est bien, le désir. Ca décuple. Incite et permet à la fois. Qui de l’œuf ou de la poule a créé le désir ? J’ai un désir et je ne sais pas quoi en faire. Je le couve ou je le plume ? Je vous le cuisine comment, votre désir ? Au plat ? Brouillé ? Mettez-y du poivre, s’il vous plaît. Faut me relever tout cela.

D’accord, elle avait fait du désir un mode de survie bien à elle. Sans désir, pas de plaisir. Nous sommes bien d’accord. Mais que dites-vous d’un petit désir de derrière les fagots qui n’oserait pas pointer son museau et qu’il faudrait sortir de là de force ? Un petit désir mignon comme tout, propre sur lui, bien dégagé derrière les oreilles. Elle n’en ferait qu’une bouchée, bien entendu. Mais avant ça, elle l’aurait transformé en un désir des rues, dans le genre chemise salie qui s’échappe du jean, dans le genre qu’il faut remettre d’équerre avant de parader. Un bon vieux désir crado qui pique les yeux. Un machin pas bien rangé. Une histoire agaçante et dérangeante. Pour elle.

Parce que sa propre victime était elle-même, soyons-en sûrs. Allons, vous connaissez cette faculté que nous avons, pour beaucoup d’entre nous, à placer nos propres bâtons dans nos propres roues ! Elle-même possédait quatre bâtons qu’elle plaçait, sinon systématiquement, au moins symétriquement, dans chacune des roues de son carrosse de fortune auquel on peut également donner le nom de cours de la vie, histoire du quotidien ou encore Grand Amour avec majuscules en prime. Pour le style. Genre Duchesse égarée qui mène la danse. Si je trébuche, c’est moi qui décide où et quand. Je trébucherai, n’en doutez pas. A quoi bon sans cela ? Le mercurochrome est fait maison. Il pique, mais ne sent pas. Rien en surface, tout dedans. Pas de trace.

Plus loin dans le Pynchon, elle était plongée dans la lecture de cette scène où cette fille se fait refaire le nez. Un pointu contre un crochu. La scène est détaillée et l’opération racontée par le menu. Avez-vous déjà lu une opération de chirurgie esthétique qui s’attaquerait au nez d’une jeune fille que l’on n’aurait pas endormie ? C’est abrupt. Et c’est long. Quatre pages, il lui avait fallu, à Pynchon. Bon, elle avait sauté quelques passages insoutenables. Le livre en plus du métro, c’était beaucoup. L’élimination d‘un des éléments était inéluctable. Le texte fut sacrifié à l’idée de marcher l’équivalent de cinq stations. Pourquoi supportait-elle mieux la lecture d’amours cruelles ou simplement vilaines ? Une opération douloureuse, c’est tout de même moins long. C’est tout de même plus distancié. Ah ! La distance… Nous y voilà. Quel intérêt de souffrir du nez dans le vide ? Alors que souffrir du cœur dans le vide, cela était moins vide. De sens. C’était plus bâtons dans les roues, d’un coup. Il faut préciser ici qu’elle avait un nez peu joli, mais adopté depuis déjà un bon moment. Le nez, c’était réglé.

jeudi 15 avril 2010

Colère


Il lui avait raccroché au nez de colère et l’avait rappelée, deux heures plus tard, lui demandant si elle était toujours énervée. Elle en était restée perplexe. Envie de pleurer et puis pas. Comme une boule dans la gorge. Une sensation indéfinissable qui se situerait entre la tristesse et le dégoût. Les larmes montaient jusqu’aux yeux et les doublaient pour atteindre le front, de l’intérieur. Oui, elle intellectualisait trop. Mais comment faire autrement ? Ne pas chercher à comprendre était impossible/impensable pour elle. Elle devait tout traduire, toujours. Par lucidité ou survie. Pour maîtriser cette non maîtrise sur cette chose qu’on appelle liaison/rapport/contact avec l’autre. Cette saleté qui l’envahissait malgré le peu d’estime qu’elle finissait par y accorder. Parfois même elle admettait n’y porter qu’une curiosité sans recul. Où cela va-t-il me/nous mener ? J’accepte ses accès de goujaterie parce que je veux en savoir plus. Ca blesse et ça passe. Pour étude uniquement. Des sentiments qu’on peut sortir de là pour les laver de toute cette crasse, les bichonner, les recréer, puis qu’on peut replacer dans la liaison/histoire/échange. Pour soi seule. En secret. Pour étude uniquement.

mercredi 7 avril 2010


Elle y arriverait. Elle ne savait pas encore comment, ni quand, mais elle avait décidé qu’elle y parviendrait de gré ou de force. C’est étrange comme parfois on décide de gré ou de force ; comme les évidences s’imposent à soi comme des choix ; comme on choisit ce qui s’impose. Aussi choisit-elle de parvenir à vivre sans cet homme. A ce stade de leur liaison, elle choisit plutôt de vivre sans l’absence chronique, voire perpétuelle, de cet homme qu’elle aimait, disait-elle alors.

Dans un premier temps, l’idée était de ne plus pleurer, ne plus laisser couler les larmes ou, plutôt, les ravaler par les yeux pour qu’elles coulent à l’intérieur d’elle-même. Elle ne pleurerait plus en apparence. Fini la grande scène du IV par Mater Dolorosa. A elle seule, cette idée la réconforta. Une avancée, donc. Une étape importante sur la route de cette pleurnicheuse notoire.

Forte de ce nouveau statut de dure au mal, elle poussa la difficulté jusqu’à ne manquer la sortie d’aucun film triste à mourir, histoire de vérifier sa résistance, histoire de braver l’impossible. Dans un premier temps, elle s’en sortait avec les yeux humides et quelques frissons plutôt agréables. Frissons qui la saisissaient parfois dans le train, lorsque, rentrant du travail, elle parcourait les pages de ses métha-romans-done, véritables substituts de vie, comme elle disait. Ou plutôt comme elle se disait à elle-même puisqu’elle n’avait jamais été capable de parler littérature avec qui que ce soit. Ni de littérature, ni de cinéma, ni de quoi que ce soit qui eut peu ou prou à voir avec le ressenti. Elle était tout bonnement incapable de verbaliser son ressenti. Manquaient les mots. Ou la volonté de les trouver. Ou la volonté de les chercher. Enfant, déjà, elle avait essuyé les reproches de ses professeurs, en marge de ses compositions écrites : « doit travailler la description des sentiments ». Elle n’en voyait pas l’utilité. Enfant déjà.

Elle se remémorait ses mauvaises notes lorsqu’elle se souvint qu’elle avait rendez-vous le lendemain soir avec l’homme sans lequel elle avait décidé de vivre. Une nouvelle décision n’allait pas tarder à s’imposer. Mais laquelle ? Quelle évidence allait-elle choisir ? Annuler ou maintenir (maintenir) ?

C’est alors que son mobile sonna. C’était lui qui l’appelait. C’était écrit sur l’écran. Après une courte hésitation, elle décrocha.

- « Je peux être chez toi plus tôt que prévu, demain, si tu veux, lui annonça-t-il, enjoué.
- C’est-à-dire ?
- Eh bien je peux prendre un train qui arrive à Montparnasse à vingt heures.
- Ah.
- Ca te dit ? »

Elle pensa : « C’est censé être une bonne nouvelle ? Une arrivée à la gare à vingt heures signifie une arrivée chez moi à vingt et une heures. C’est ça la bonne nouvelle ? Initialement, il comptait arriver à quelle heure, au juste ? »

Elle ne sut que répondre. La dernière fois qu’ils avaient parlé, c’était déjà au téléphone. Il lui avait lancé que leur liaison n’avait rien d’une histoire de couple et qu’elle s’était « fait un film ». Telles avaient été ses paroles qui résonnaient en elle comme une flûte à bec malmenée par un apprenti musicien d’à peu près onze ans.

A ce stade de la conversation qui restait en suspend, elle entrevit deux possibilités : lui cracher qu’elle n’avait que faire de ses horaires de train ou accepter la proposition et s’en réjouir. Elle accepta la proposition. Vingt et une heures, c’était une bonne heure. Ainsi elle aurait le temps de préparer un dîner pour deux, se maquiller, ranger son appartement… Alors qu’elle organisait mentalement son début de soirée du lendemain, il lui racontait son travail, son train Lyon/Nantes dans lequel il était sur le point de monter - départ dans cinq minutes -, son travail, encore, qui le contraindrait à la quitter tôt le surlendemain matin. Il raccrocha après lui avoir brièvement souhaité une bonne journée. Le seul mot qui reteint son attention fut « Nantes ». Il était en train de rentrer à Nantes. Elle l’imagina entrer chez lui et rejoindre l’épouse avec qui il formait un couple, pour de vrai. Elle, aussi, l’attendait. Mais à Nantes. Et un jour plus tôt.

vendredi 2 avril 2010

Note d'intention


A dix-neuf heures, elle était satisfaite. Carreaux propres, amendes réglées, verre bu, Soline et Fiona parties, surgelés soldés achetés/rangés. Puis elle avait commencé de compiler quelques idées qui agrémenteraient sa note d’intention. Ah !

Alors que le tonnerre de mars grondait à tout va dans la rue, elle pestait encore une fois contre les scribouillards de la société des droits d’auteurs qui attendaient sa fichue note d’intention. Pourquoi n’existait-il pas une liste préétablie des œuvres que l’on aurait ou pas le droit d’utiliser au théâtre ? Pourquoi ce cas par cas si laborieux ? Sa fainéantise s’en trouvait d’autant plus malmenée qu’elle se sentait bien incapable d’élaborer quelque note d’intention que ce soit.

« Je veux être Jean-Louis Trintignant ! ». Un peu court. Un peu débile, aussi. Irrecevable, en somme.

La question devait incontestablement être remise à plus tard. Il était incontestablement l’heure de dîner. Une bonne raison de lâcher ce stylo qui n’avait finalement servi à rien. Incontestablement.

Après dîner, elle avait préféré voir un film de Chéreau plutôt que de se replonger dans son projet de note d’intention avorté avant même une première ligne manuscrite. Rien à faire ! Elle aimait davantage savourer le travail déjà fourni par d’autres.

Envie d’abord de retravailler avec Dominique Blanc, envie de partager quelque chose, de faire exister ce quelque chose.
Envie alors de se confronter à ce texte terrible. De se ressouvenir de ça : la Résistance, la Libération, les camps, cette période impensable et qu’on a oubliée. Et puis le retour incroyable de cet homme dont Marguerite Duras s’est séparée et qu’elle aime, l’horreur de l’attente, la splendeur de sa résurrection à lui – qui est aussi un peu son œuvre à elle.
L’espoir fou.
Transmettre tout cela, humblement, à des spectateurs.
Patrice C.

Pas sorcier. Fainéante !