mercredi 7 avril 2010


Elle y arriverait. Elle ne savait pas encore comment, ni quand, mais elle avait décidé qu’elle y parviendrait de gré ou de force. C’est étrange comme parfois on décide de gré ou de force ; comme les évidences s’imposent à soi comme des choix ; comme on choisit ce qui s’impose. Aussi choisit-elle de parvenir à vivre sans cet homme. A ce stade de leur liaison, elle choisit plutôt de vivre sans l’absence chronique, voire perpétuelle, de cet homme qu’elle aimait, disait-elle alors.

Dans un premier temps, l’idée était de ne plus pleurer, ne plus laisser couler les larmes ou, plutôt, les ravaler par les yeux pour qu’elles coulent à l’intérieur d’elle-même. Elle ne pleurerait plus en apparence. Fini la grande scène du IV par Mater Dolorosa. A elle seule, cette idée la réconforta. Une avancée, donc. Une étape importante sur la route de cette pleurnicheuse notoire.

Forte de ce nouveau statut de dure au mal, elle poussa la difficulté jusqu’à ne manquer la sortie d’aucun film triste à mourir, histoire de vérifier sa résistance, histoire de braver l’impossible. Dans un premier temps, elle s’en sortait avec les yeux humides et quelques frissons plutôt agréables. Frissons qui la saisissaient parfois dans le train, lorsque, rentrant du travail, elle parcourait les pages de ses métha-romans-done, véritables substituts de vie, comme elle disait. Ou plutôt comme elle se disait à elle-même puisqu’elle n’avait jamais été capable de parler littérature avec qui que ce soit. Ni de littérature, ni de cinéma, ni de quoi que ce soit qui eut peu ou prou à voir avec le ressenti. Elle était tout bonnement incapable de verbaliser son ressenti. Manquaient les mots. Ou la volonté de les trouver. Ou la volonté de les chercher. Enfant, déjà, elle avait essuyé les reproches de ses professeurs, en marge de ses compositions écrites : « doit travailler la description des sentiments ». Elle n’en voyait pas l’utilité. Enfant déjà.

Elle se remémorait ses mauvaises notes lorsqu’elle se souvint qu’elle avait rendez-vous le lendemain soir avec l’homme sans lequel elle avait décidé de vivre. Une nouvelle décision n’allait pas tarder à s’imposer. Mais laquelle ? Quelle évidence allait-elle choisir ? Annuler ou maintenir (maintenir) ?

C’est alors que son mobile sonna. C’était lui qui l’appelait. C’était écrit sur l’écran. Après une courte hésitation, elle décrocha.

- « Je peux être chez toi plus tôt que prévu, demain, si tu veux, lui annonça-t-il, enjoué.
- C’est-à-dire ?
- Eh bien je peux prendre un train qui arrive à Montparnasse à vingt heures.
- Ah.
- Ca te dit ? »

Elle pensa : « C’est censé être une bonne nouvelle ? Une arrivée à la gare à vingt heures signifie une arrivée chez moi à vingt et une heures. C’est ça la bonne nouvelle ? Initialement, il comptait arriver à quelle heure, au juste ? »

Elle ne sut que répondre. La dernière fois qu’ils avaient parlé, c’était déjà au téléphone. Il lui avait lancé que leur liaison n’avait rien d’une histoire de couple et qu’elle s’était « fait un film ». Telles avaient été ses paroles qui résonnaient en elle comme une flûte à bec malmenée par un apprenti musicien d’à peu près onze ans.

A ce stade de la conversation qui restait en suspend, elle entrevit deux possibilités : lui cracher qu’elle n’avait que faire de ses horaires de train ou accepter la proposition et s’en réjouir. Elle accepta la proposition. Vingt et une heures, c’était une bonne heure. Ainsi elle aurait le temps de préparer un dîner pour deux, se maquiller, ranger son appartement… Alors qu’elle organisait mentalement son début de soirée du lendemain, il lui racontait son travail, son train Lyon/Nantes dans lequel il était sur le point de monter - départ dans cinq minutes -, son travail, encore, qui le contraindrait à la quitter tôt le surlendemain matin. Il raccrocha après lui avoir brièvement souhaité une bonne journée. Le seul mot qui reteint son attention fut « Nantes ». Il était en train de rentrer à Nantes. Elle l’imagina entrer chez lui et rejoindre l’épouse avec qui il formait un couple, pour de vrai. Elle, aussi, l’attendait. Mais à Nantes. Et un jour plus tôt.

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