jeudi 17 juin 2010

Chartier (suite)


Episode 2

« Nous sommes faits l’un pour l’autre, n’est-ce pas ? », a-t-elle demandé en poursuivant sa marche. Dans un premier temps que l’on appelle « dans la foulée », j’ai gardé le silence, aussi pesant soit-il. J’ai adopté cette façon depuis que je sais qu’il vaut mieux du pesant vide que les méfaits d’une mauvaise réponse à la devinette. Une mauvaise pioche et l’on a vite fait de passer son tour. Or, la nuit qui allait suivre étant la dernière avec cette fille avant un bout de temps, pour cause de travail ailleurs, j’ai préféré ne pas froisser nos rapports du futur proche.

Bien entendu, après trois émissions de la question, j’ai dû rapidement composer une phrase audible, acceptable et concluante. « Je ne sais pas ce que cela veut dire », ai-je tenté. Le jury, alors, a lancé un « peut mieux faire » sous la forme agacée d’un « tu te fiches de moi ! ». J’avais néanmoins gagné du terrain : nous avions marché jusqu’à la station Bonne Nouvelle. Station qui n’annonçait rien de très bon puisque la fille a immédiatement embrayé sur un « tu n’es qu’un gros nul et méchant ». J’avais gardé en tête l’idée de cette dernière nuit ensemble avant longtemps. Lui déclarer que « oui » m’aurait valu un mal à l’aise avec moi-même, rapport à cette peur du pour toujours. Il me reste un fond d’honnêteté à mon propre égard dû à une vieille conscience que, certainement, mes ancêtres ont injecté dans ce que je suis. Fallait que je trouve une astuce. Du genre pas trop, mais jolie quand même. Une réponse à double-faces. Prise mâle et femelle tout en un.

« J’entends ce que tu me dis - je trouve cela très mignon - Gueule d’Amour ». Bingo ! Elle a souri en grand, a pris mon bras, s’est comme blottie, et nous avons ainsi poursuivi notre chemin à contre-courant des nombreux autres du boulevard. Je savais d’ors et déjà que ma trouvaille ferait long feu, mais comptais sur suffisamment de répit pour la quitter joyeuse le lendemain matin. On ajusterait ensuite.

La nuit a suivi comme j’aime. Je dois avouer ici que les mots sont pratiques. Celui qui maîtrise est le Roi du Monde. Si tant est que le monde ne tourne autour de la chair. Certains moments m’ont emmenés si loin que j’ignorais en bloc où je me trouvais. Dans ses bras pourtant. A la fois comme en-delà de nous. Une reprise de Wild Thing en tête d’un coup. Trombone et trompette. Guitare chaude et voix suave. J’étais tel qu’embarqué en amour. Un autre.

Matin. Départ. Un job à faire à Fès. Un « je t’appelle » et le dehors, l’aéroport, la suite de ma vie.

A suivre...

2 commentaires:

  1. "J’avais gardé en tête l’idée de cette dernière nuit ensemble avant longtemps. Lui déclarer que « oui » m’aurait valu un mal à l’aise avec moi-même, rapport à cette peur du pour toujours."

    Tu fais une fixette sur la proverbiale lâcheté des hommes hein ? ça sent le vécu ^^ hihi

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  2. Histoire de bien camper le personnage...

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