mardi 7 décembre 2010

Actrice - Chapitre II




- II -


J'ai joué comme je sais faire. J'ai pris soin de ne pas oublier de respirer comme on doit le faire pour ne pas se briser la voix. On parle haut, en scène. On enfle le ventre. Un rôle-titre, ça se respecte on ne peut plus.

Je suis assise dans ma loge et attends encore un peu, seule, qu'il soit temps de rejoindre les autres acteurs au bar du théâtre, où il est d'usage de sourire aux personnes du public venues nous remercier pour tant de grâce, talent, mémoire... Des gens continuent de me féliciter pour un exercice de mémoire. “Vous êtes épatante ! Comment parvenez-vous à retenir tout ce texte ?” Ces mots sont un matériau qu'il est de bon ton de savoir dire sans heurt. Essayez, vous verrez. Puis taisez-vous, voyons.

Je m'attarde dans les coursives à moquette. J'aime ce non-son qui s'étouffe avant d'exister. Le calme avant.

Le bar du théâtre est rempli des bruits que je redoutais. J'ai aimé les couloirs, ma loge, comme j'ai aimé ces vides en scène, dans lesquels le silence était reçu en respect comme entier. Ce rien était reconnu par eux comme faisant aussi partie de nous et de notre cadeau vers eux. Pourquoi, alors, ne se l'offrent-ils pas, ici, maintenant ? De quoi ont-ils tous si peur, qu'ils remplissent l'espace qui stagne entre nous et eux de ce tumulte trop audible ? Je les déteste, en somme. Leurs voix et tintements me griffent. Je ne les aime qu'assis, muets, les yeux vers nous/moi.

Le “rouge vedette” aux lèvres, j'amplifie le trait et parais, d'un coup, à même d'en découdre. Heureuse, pensent-ils. Un métier qui permet de faire dire et croire.... J'entre dans la pièce et attrape une coupe. Cette vieille dame en rose me couvre de mots pailletés pour m'enrubanner de son bonheur d'un soir. Je dis “merci”. C'est le tour, ensuite, d'une galerie de tous ceux qui font, eux aussi, de la culture en salle. J'écoute et ne dis qu'en cas de réel besoin poli.

Il y a cet homme, au comptoir. Lui ne parle à aucun d'eux qui sont pourtant là pour en dire à tout le monde. Il boit. Repose son verre de... whisky, peut-être. Commande encore quand vidé. Lentement. Il sirote et je le vois faire. Combien de temps suis-je là ? Combien de temps le regardé-je ? Je suis comme enfouie dans son monde dont je ne lis seulement rien.

Christian, metteur en scène complet de ces soirées à rallonge, m'attache alors le bras et me conduit vers un couple élégant comme tous et me présente. Cette fois encore je salue et souris mais n'entends pas plus que le brouhaha du lieu. Pas envie de concentration qui serait un effort sans lendemain. Je parle un peu en réponse et me tais. Je bois. Me tais.

J'élargis le cercle que nous formons maintenant à six au moins et m'installe de sorte que je vois encore cet homme au bar. Whisky, c'est sûr. Il est grand et paraît plus que mon âge. Le gris de ses tempes font de lui et de son habit un ensemble que je sais beau. Plus de bruit. Plus cet empêchement d'être calme. Qui est-il ? Et pourquoi seul ? Qui vient seul en ces endroits où l'on montre qui nous entoure et nous permet d'être et nous fait ? Qui ? Pourquoi ?

Je vise, non loin de l'homme/intrigue, un camarade de jeu. Il est en grande explication de l'art et du théâtre et je me joins. Radieux, il me présente, à son tour. Je n'écoute toujours pas, mais souris de tout mon rouge. Je me place en stratège et admire en silence. J'aime cette beauté qui ne parle. Il regarde l'assemblée comme de loin. Ne semble pas à ce point en dehors d'eux mais diffère. J'aime sa distance. Et son silence. Sa grâce virile. Sa solitude au milieu de la cohorte.

Qui vient seul au théâtre et reste ensuite ?

Il s'agit de Paul. Il est un ami de notre régisseur, André. Il vit dans cette ville et a profité de notre venue pour assister au spectacle.” Claude s'est approché de moi pour me dire ce que, sans doute, mes yeux demandent et crient.

Alors, nous le connaissons. Tout comme.


À suivre...


6 commentaires:

  1. Merci pour ce deuxième chapitre, qu'il m'est possible de lire ici, ou sur Facebook, ou sur le wizzz (sur lequel j'ai laissé un message). Impossible donc d'oublier mon rendez-vous hebdomadaire. Le style incisif me plaît toujours autant ; je sais que je lirai le tout avec plaisir.
    Un peu intrigué par le choix de cette jolie photo d'Artefact qui accompagne ce chapitre. Il serait peut-être intéressant de connaître les motivations du photographe, même si cela reste sans doute très subjectif. Bravo et merci à vous deux.

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  2. Vous me mettez la pression... Et tant mieux !
    Je ne connais pas les raison des choix d'Artefact mais je lui ferai part de votre curiosité. C'est vrai qu'il serait intéressant de connaître ses secrets.
    Je file vous retrouver sur le Wizz !

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  3. excellent, j'aime comment tes mots coulent et s'enroulent de sens, tu es vraiment agréable à lire, continue, c'est un plaisir..

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  4. Bonjour,

    je découvre votre plume sur weloveword et m'en délecte plus encore ici. Des tournures originales, des formules acérées, une petite musique bien installée, du sens et de la profondeur... (juste un petit bémol, mais tout petit, pour certaines petites lourdeurs ici et là à mon goût... rien de bien méchant).
    Je profite de ce passage pour vous inviter à découvrir l'univers de Dina MANN (duo d'auteures au féminin pluriel dont je suis l'une) : www.l-etre.com
    Il me semble que vous y trouverez un écho, autant que j'ai pu en trouver un à vous lire.
    Je suivrai l'avancement de votre roman distillé chapitralement.
    Bonne continuation, continuez d'écrire !

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  5. Merci, l'une des deux...
    Je ne manquerai pas d'aller lire vers chez vous !

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