mercredi 15 décembre 2010

Actrice - Chapitre III


Photo par Artefact (http://www.facebook.com/Artefact.Photography)


-III-


Il est onze heures et je me réveille de cette si courte nuit d'après le jeu, le bruit et Paul. L'homme est gravé en mon front malgré ses distances et ses silences. Je n'ai pas osé l'approcher. J'espère en secret qu'il sera au théâtre ce soir. Ces improbables retrouvailles prennent tout l'espace de mes pensées. Je descends et rejoins l'équipe. Nous allons déjeuner.

Nous marchons sur la neige, plus si fraîche, de la fin de matinée. Craquements étouffés qui me promènent à l'intérieur de mes pensées où je suis deux. Tout a changé. L'homme me poursuit. Je souhaite qu'il me poursuive et le rêve, éveillée, marchant sur mes propres craquements de semelles. Je n'ai pas faim et suis les autres sans en être. Je n'entends pas les mots de mes camarades, ouverts, eux, à la ville qui nous accueille, et qu'ils investissent de leur vie. Je suis leurs pas et m'envole vers la veille qui, je le veux, se rejouera ce soir. Je veux revoir l'homme Paul.

Nous sommes attendus par quelques sommités du cru. Un maire ou s'en approchant, deux trois élus en forme d'élus... Je m'installe pile à la place que l'on m'indique, à la droite de je ne sais qui. Pour une fois, la bienséance est sauve : je suis dos au mur du fond, les yeux vers le reste de la salle de restaurant, qui l'englobent même.

Banalités et bêtises se succèdent les unes aux autres pendant trop long. Une habitude à prendre. Ma bonne humeur inespérée, due à la veille, me permet de faire bonne figure. Sourires, réponses adéquates, rires, même... Je joue mon rôle comme je le dois. Christian me remercie des yeux. Nous palabrons ainsi jusqu'au dessert.

Il entre. C'est lui. Il entre. Il avance droit devant vers moi. Il salue André puis nous tous dont moi. Il sourit comme un rêve dans le vrai. Je ne parviens pas à dire ni faire. Mon coeur est sans contrôle. Le reste de moi défaille. Je ne dis ni ne fais.

Un long quart d'heure de café et mignardises et j'articule enfin à ses félicitations, ses questions, ses yeux, oh ! ses yeux.

Sa voix m'enlève et je songe. Sa voix m'emmène loin de tout le monde. J'aime son bruit qui m'entoure. Sa voix grave, basse, calme et posée comme sur une portée qui m'emporte et que je suis. Je suivrais jusque loin, même dans le temps. Je suivrais entière sans penser jamais. Je suis.

Tous sont levés sans que même je ne le remarque. Sa voix me rattrape et m'invite. J'accepte son bras qu'il m'offre et me lève.

Il choisit de nous accompagner au théâtre où nous attend la salle aveugle des répétitions. Nous, les artistes, l'invitons à assister à notre séance de travail. Je conclus l'invitation par un sourire enfin, avec les yeux, cette fois les miens. Un sourire de réponse et je flotte jusqu'au véhicule de location vert vif qui nous emporte à son tour, nous tous un peu mieux serrés que la veille parce que plus un, plus lui, plus l'homme et sa voix, son bras, ses yeux, son sourire. Carton plein.

Je joue pour lui. Je suis les indications de Christian et celles, aussi, des yeux de Paul. Une répétition comme jamais. Je joue cette femme amoureuse qui se donne entière. Elle est ici, autour de moi, et entre par ma peau à moi, ressort par mes yeux, mes lèvres. Je ne trouve pas cette gêne anxieuse que je trimbale, pourtant, depuis des lustres. Je suis cette femme amoureuse que, jusque-là, je ne connaissais/reconnaissais pas. Qui êtes-vous, Madame, qui êtes moi ? Qui êtes-vous, Monsieur, qui me faites moi ?

Avant la trêve, il est parti. Emmenée par le texte, je ne m'aperçois de son absence qu'en fin de travail. Qu'importe ! Il sera ici ce soir et c'est pour lui que je serai cette femme-là.


À suivre...

2 commentaires:

  1. Toujours ce style bien reconnaissable et ce contenu qui nous tient en haleine. Les semaines se suivent, fidèles à leurs promesses. Merci.

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  2. Merci de lire. J'espère ne pas vous décevoir par la suite.

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