mercredi 19 janvier 2011

Actrice - Chapitre VII



- VII -


Notre train rapide nous éjecte sur le quai d'une gare de Vendée, ou assimilé. Nous sommes conduits à l'hôtel mi-tout ce que j'imagine par avance. Il est dans le hall. J'ai envie de le gifler. Je le gifle. Bousculade. Du monde plein, d'un coup, que je connais et pas. Me retrouve assise au salon, entourée d'accroupis épatés et interrogateurs. Ne dirai rien. Bon, honteuse. Dans ces moments, ne jamais laisser paraître. Qui cela regarde-t-il ? Nous seuls. Va bien falloir lui expliquer, à lui, qui se tient toujours debout au centre pile du hall. Encerclé par un tas d'autres, il me regarde, je le vois. Sa main sur sa joue, il me fixe sans pause. Je lui rends des yeux vidés de sens commun et ne bouge plus non plus. Tous s'agitent. Paul et moi nous tenons stables, les yeux dans les yeux, bouches closes.

Il a bien fallu une dizaine de minutes pour calmer les esprits des autres. Mon corps, finalement, me lève du fauteuil. Je me dirige sans secousse vers André qui, sans sourciller, me tend la clé de ma chambre. J'y monte. J'y demeure seule une heure entière. Je suis assise et lutte contre toutes ces questions qui me viennent. Non, je ne sais pas pourquoi, la gifle. Je ne sais pas comment, la gifle. Je suis envahie par la chaleur sur ma paume, le souvenir de la chaleur. Le profond de ses yeux s'infiltre dans mes sens. Me voilà marquée à jamais.

La journée se poursuit telle que prévue. Déjeuner, répétition, dîner, représentation. Je file de l'un à l'autre sans encombre. Nul n'aborde le sujet de l'incident matinal. Je suis épargnée de leurs mots, mais leurs regards sous-entendent clairement les hypothèses. Bien sûr, ils s'interrogent. Bien sûr, ils supposent en vrac. Comment peuvent-ils supposer un instant que Paul et moi ne nous connaissons pas et que la gifle marque notre premier contact véritable ? Je profite de leur gêne pour m'engouffrer dans le silence instauré par mon accès de violence inattendu. Le silence de la gifle.

Retirée dans ma loge, après le spectacle, je prends quelques temps pour préparer mon retour à la foule du bar du théâtre. Il est question de soigner mon entrée. Si Paul se tient parmi les autres, je compte porter digne. Parce que la gifle est absurde, je devrais m'incliner ? S'il attend de moi quelque courbure, j'entends bien lui tenir la dragée haute.

Gainée d'une robe couture et marquée au “rouge vedette”, je traverse le bar bondé de tous ces Paul éventuels dont je m'évertue à ne pas croiser les yeux. Je m'arrime au comptoir, puis à une première coupe. Ma posture éloigne un temps les curieux. Quelques minutes que je savoure, seule parmi le bruit qui, cette fois, ne m'est pas adressé. Quelques minutes seulement, avant qu'un couple à mi-vie m'aborde, me félicite, m'admire et me questionne. Je consens à parler, gentille. Nous échangeons des mots polis, des idées attendues à propos du théâtre et de la vie, comme si quelque comparaison se pouvait faire. Je joue le jeu et déblatère.

"Puis-je enfin comprendre ?” La voix grave de Paul vient de s'immiscer. Je me détourne du couple rasant et le vois près de moi, grand et beau, qui me regarde tout droit.


À suivre...



3 commentaires:

  1. Pourquoi a-t-il disparu si vite, la première fois ? Pourquoi n'était-il pas à Clermont ? Ah, il l'a bien méritée, sa gifle ! Mais enfin il est là, et...

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  2. Longtemps que je n'étais pas venu non plus, et c'est pour découvrir des hommes battus! ;o)

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